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La fin de l’interdiction de principe des ventes couplées et des ventes avec prime en droit de la consommation

26 mai 2010

Un arrêt récent de la Cour de Justice des Communautés Européennes est venu mettre en évidence le fait que certaines pratiques prohibées (ou encadrées) en droit français de la consommation sont contraires au droit communautaire. Tel est notamment le cas de la prohibition des ventes couplées et de la réglementation stricte afférente aux ventes avec primes. Cette situation doit conduire à écarter l’application de ces textes à l’encontre de telles pratiques. Si la société France Télécom aura déjà su tirer avantage de cette situation en faisant réformer la décision du Tribunal de Commerce de Paris lui ayant ordonné de suspendre la commercialisation de sa chaîne Orange Foot avec ses offres d’accès à Internet, cet arrêt de la CJCE devrait de manière plus large donner davantage de marge de manœuvre aux entreprises pour dynamiser la commercialisation de leurs produits et services.

Saisie d’une question préjudicielle relative à la compatibilité de la législation belge au regard du droit communautaire, la CJCE a jugé, le 23 avril 2009, que les dispositions de la directive n°2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales s’opposaient à toute forme de prohibition par principe des ventes liées et des ventes avec prime en droit national de la consommation.

Dans cette affaire, la société Total Belgium avait été condamnée en première instance par une juridiction belge pour avoir offert aux détenteurs d’une carte de fidélité pour la vente de carburants plusieurs semaines gratuites d’assistance au dépannage en fonction des « pleins » de carburants réalisés. Selon la juridiction saisie, cette pratique matérialisait en effet une vente avec prime, interdite en droit belge. La vente avec prime réside, ainsi, dans le fait de vendre un produit ou de prester un service assorti d’une prime donnant droit, pour le consommateur, à un autre produit ou service à titre gratuit. En droit français, la vente avec prime est interdite sauf à respecter un montant maximal pour la prime, défini de manière stricte et conduisant à une prime très réduite (articles L.121-35 et R.121-8 du Code de la consommation).

 

La société Galatea avait, quant à elle, également été condamnée par une juridiction belge pour vente liée. Elle avait en effet subordonné le bénéfice de remises sur certains produits de lingerie à l’acquisition préalable d’un magazine. La vente liée, interdite en droit belge comme en droit français (article L.122-1 du Code de la consommation) consiste à lier la vente d’un produit ou d’un service à l’acquisition, par le consommateur, d’un autre produit ou service. En d’autres termes, le produit ou service « lié » ne peut pas être obtenu sans acquérir un autre produit ou service (étant précisé qu’en droit belge, le simple fait de bénéficier d’un avantage pour l’acquisition d’un autre bien ou service entre également dans le champ de la prohibition).

 

Or, pour la CJCE, ces dispositions, en ce qu’elles prohibent par principe les ventes avec prime et les ventes liées, sont totalement incompatibles avec la directive 2005/29/CE précitée.

En effet, cette directive dresse, dans son annexe 1, une liste des pratiques qui sont interdites par principe. Cette directive étant dite « d’harmonisation totale » et la liste visée dans son annexe 1 étant limitative, aucune autre pratique commerciale ne peut donc être interdite par principe par la législation d’un Etat membres.

Par ailleurs, les articles 5 et 9 de cette directive prohibent également, en tant que pratiques commerciales « déloyales » ou « agressives », les pratiques qui :

  • sont contraires aux exigences de la diligence professionnelle et altèrent ou sont susceptibles d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen auquel ces pratiques s’adressent, d’une part ;
  • recourent au harcèlement, à la contrainte ou à une influence injustifiée, d’autre part.

Ainsi, hormis les pratiques visées à l’annexe 1 de cette directive qui sont prohibées en toutes circonstances, une pratique commerciale ne peut être interdite par une législation nationale qu’à la condition de démontrer, au cas par cas et sous le contrôle d’une juridiction, qu’elles sont contraires aux exigences de la diligence professionnelle et sont susceptibles d’altérer le comportement économique d’un consommateur moyen ou bien qu’elles recourent à la contrainte, au harcèlement ou à une influence injustifiée.

 

Sur la base du raisonnement adopté par la CJCE dans son arrêt du 23 avril dernier, les juges français devraient ainsi être conduits, en application du principe d’interprétation conforme (conséquence de la primauté du droit communautaire sur le droit des Etats membres), à écarter l’interdiction per se des pratiques de ventes liées ou de ventes avec prime posée par le Code de la consommation. Ils devront désormais déterminer si les pratiques de ventes liées ou de ventes avec primes dont ils pourraient être saisies remplissent ou non les conditions posées par les articles précités de la directive.

C’est d’ailleurs cette solution qu’a d’ores et déjà retenue la Cour d’appel de Paris s’agissant des ventes liées dans un arrêt en date du 14 mai 2009 rendu sur le fondement de la directive 2005/29/CE précitée (arrêt Orange Foot).

 

Dans cet arrêt, la Cour d’appel de Paris a en effet considéré qu’il ne peut être fait grief à la société France Télécom d’avoir enfreint les dispositions de l’article L.122-1 du code de la consommation prohibant les ventes liées dès lors qu’il n’est pas démontré qu’en l’espèce l’offre de France Télécom serait contraire aux exigences de la diligence professionnelle ou recourrait à la contrainte, au harcèlement ou à une influence injustifiée.

 

Cette décision fait ainsi apparaître que ces conditions, appréciées au cas par cas, pourraient être difficiles à qualifier.

 

Enfin, au-delà de ces deux pratiques, la compatibilité de l’interdiction des ventes à la boule de neige visées par l’article L.122-6, 1° du code de la consommation au regard du droit communautaire pourrait également être discutée, cette pratiqué n’étant pas, en tant que telle, visée dans l’annexe 1 de la directive. L’influence injustifiée qu’elle serait susceptible de susciter pour le consommateur pourrait, en revanche, être discutée.

 

Voilà en toute hypothèse de quoi redonner de la créativité aux équipes marketing pour la promotion des produits et services de leurs entreprises !