Condamnation d’Orange et de SFR par l’Autorité de la concurrence: l’abondance de biens nuit parfois…
TÉLÉPHONIE – L’Autorité de la concurrence (ADLC) a sanctionné jeudi 13 décembre Orange/France Télécom et SFR à hauteur de 183 millions d’euros pour avoir commercialisé, de 2005 à 2008, des offres de téléphonie mobile incluant des appels illimités vers leurs seuls réseaux respectifs (on parle d’appels « on net« ). Dans le cadre de ces offres dites d’abondance on net, les abonnés pouvaient appeler « gratuitement » les abonnés du même opérateur (offres de type 3 n° illimités ou « soir et week-end »).
Pour le néophyte, la décision peut surprendre: en quoi deux opérateurs, non dominants sur le marché mobile, violeraient-ils le droit de la concurrence en proposant à leurs abonnés des offres a priori intéressantes en leur permettant de maximiser leurs appels vers certains correspondants sans surcoût?
En réalité, le droit de la concurrence repose sur une analyse concrète des effets des pratiques en cause.
Ici, ces offres ont entraîné deux effets majeurs: si un client bénéficie d’appels illimités vers un seul réseau, il a intérêt à inciter ses proches à s’abonner auprès de cet opérateur (c’est « l’effet tribu ») et, dans le même temps, à s’abonner auprès d’un opérateur ayant une base de clients importante car, statistiquement, il aura plus de chances que son correspondant soit abonné de ce réseau (c’est « l’effet réseau »).
En renforçant les effets tribu et réseau, ces offres ont verrouillé une partie importante du marché au détriment des plus petits opérateurs, Bouygues Telecom et les opérateurs mobiles virtuels (MVNO).
Outre que la clientèle verrouillée par les durées d’engagements assortissant ces offres était inaccessible, Bouygues Telecom a dû lancer des offres incluant des appels illimités vers tous les réseaux pour ne pas être évincée du marché (ce qui a fortement renchéri ses coûts). Quant aux MVNO, ils ont notamment vu leur développement fortement contraint sur cette clientèle la plus rentable.
Or, ces pratiques ont été rendues possibles pour Orange et SFR grâce à leur base d’abonnés importante et au monopole dont ils disposent sur la terminaison des appels vers leur propre réseau. Chaque opérateur est en effet en monopole sur la prestation dite de « terminaison d’appel » consistant à terminer l’acheminement de l’appel vers le correspondant. Il fixe à ce titre le tarif que doit lui payer l’opérateur de l’appelant, dans la limite d’un plafond fixé par le régulateur. Or, étant tenu par une obligation de non-discrimination, un opérateur doit s’imputer en interne le même prix de terminaison d’appel que celui facturé à ses concurrents.
Il n’existait donc en principe aucune différence en termes de coûts justifiant l’avantage tarifaire conféré par Orange et SFR à leurs seuls abonnés pour les appels on net. C’est pour cela que leurs pratiques sont sanctionnées.
Comme l’illustre également la condamnation récente de la SNCF pour avoir notamment pratiqué des prix prédateurs sur le fret, tout opérateur dominant doit commercialiser ses offres dans le strict respect de la concurrence par les mérites, une offre d’apparence avantageuse pour les clients étant susceptible de leur nuire sur le long terme en portant atteinte au fonctionnement du marché. Le mérite de cette décision est de le rappeler.
The Huffington Post – 20 décembre 2012
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