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Pour la Cour de cassation un juge ne peut pas fonder, principalement ou exclusivement, sa décision sur des procès-verbaux anonymisés

16 mai 2022

Actualité

Par un arrêt du 11 mai 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation encadre le recours aux procès-verbaux anonymes par le ministre de l’Economie pour prouver l’existence de pratiques restrictives de concurrence en affirmant qu’un juge ne peut pas fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur ceux-ci.

Cette décision intervient dans le cadre d’une action introduite par le ministre de l’Économie qui reprochait à la société GE Energy Products France (GEEPF) d’avoir soumis ses partenaires à des clauses constituant un déséquilibre significatif à son bénéfice.

Le 12 juin 2019, la Cour d’appel de Paris avait condamné GEEPF au paiement d’une amende de 2 millions d’euros. La particularité de cette décision était qu’elle se fondait de manière déterminante sur des procès-verbaux anonymisés de partenaires de GEEPF, dont i) le nom du fournisseur et de la personne auditionnée, ii) l’activité du fournisseur et toute information relative au marché sur lequel il opère, iii) les éléments relatifs à son chiffre d’affaires passé et futur ainsi que la part de chiffre d’affaires qu’il réalise avec GEEPF, avaient été biffés.

Or, selon la Cour d’appel, l’ensemble de ces déclarations corroborait l’impossibilité de ces fournisseurs de négocier les clauses des contrats proposés par GEEPF.

La Cour avait considéré que ce mode opératoire ne portait pas une atteinte excessive aux droits de la défense de GEEPF dès lors que :

(i)                  les procès-verbaux avaient été dressés par des agents assermentés ;

(ii)                ils portaient sur des questions dont GEEPF avait connaissance et auxquelles elle pouvait répondre en produisant des pièces destinées à démontrer le contraire ;

(iii)               GEEPF pouvait débattre contradictoirement du fond des pièces et de la portée des auditions dont le contenu n’était pas anonymisé, seules les informations empêchant toute réidentification du déposant avaient été tronquées, dans le seul but de préserver l’identité des déposants et l’efficacité de ces enquêtes et procédures destinées à protéger l’ordre public économique.

La Cour de cassation censure cette décision et, ainsi, les modalités d’établissement des dossiers de poursuite fondant les actions engagées par le ministre de l’Economie, au motif que « au regard des exigences du procès équitable, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des déclarations anonymes ».

Si les agents de la DGCCRF pourront toujours anonymiser des procès-verbaux préalablement dressés par leurs soins dans le cadre de leurs investigations, ces documents ne pourront plus fonder, principalement ou exclusivement, les actions pouvant être engagées à la suite de leur établissement. Ces dernières devront ainsi reposer soit sur d’autres éléments déterminants pour établir les pratiques dénoncées (par exemple réunis auprès de l’entreprise soupçonnée d’avoir commis les pratique sen cause). Cette décision, fondée sur l’article 6§1 de la CEDH, protège les droits de la défense, en ce compris le droit au procès équitable qui garantit une entreprise de pouvoir prendre pleinement connaissance des preuves collectées et d’en discuter utilement. En effet, si l’entreprise mise en cause n’est pas en mesure d’avoir accès aux procès-verbaux non-anonymisées, elle ne peut discuter utilement et pleinement des éléments qui sont rapportés dans ces procès-verbaux anonymisés, faute de pouvoir identifier les déclarants.

Cette solution fait écho à l’arrêt du 8 avril 2021 de la Cour d’appel de Paris qui a reconnu la nécessité pour une entreprise mise en cause dans le cadre d’une action initiée par le ministre de l’Economie d’avoir un complet accès aux données biffées (en particulier sur les contrats et l’identité des fournisseurs visés par les pratiques dénoncées), utilisées par ce dernier pour fonder son assignation (CA Paris, 8 avril 2021, n°21/05090).

Reste désormais à trouver le juste équilibre entre la nécessité de faciliter la dénonciation de pratiques considérées illicites et la protection des droits de la défense des entreprises poursuivies dans le cadre des actions du ministre de l’Economie sur le fondement de l’article L442-1 du code de commerce.

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