Concurrence et marchés publics : les entreprises candidates d’un même groupe peuvent désormais coordonner leurs offres respectives

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Vous trouverez, ci-dessous, nos premières observations quant à l’importante décision n°20-D-19 (la « Décision ») rendue hier par l’Autorité de la concurrence (l’« Autorité ») rompant avec sa pratique décisionnelle antérieure en matière d’ententes dans la soumission coordonnée d’offres en réponse à un appel d’offres public par des filiales d’un même groupe.

  1. Présentation de la pratique décisionnelle antérieure et de l’apport de la Décision

Jusqu’à présent, l’Autorité considérait qu’en matière d’appels d’offres publics, les sociétés d’un même groupe candidatant pour l’attribution d’un même marché ne pouvaient pas se coordonner pour préparer leurs offres respectives, sauf à se rendre coupable d’une entente anticoncurrentielle en raison des règles de sélection que l’acheteur public devait suivre. Pour l’Autorité en effet, en choisissant de se présenter à l’égard de l’acheteur public comme des entités indépendantes et autonomes, les sociétés candidates étaient réputées disposer d’une autonomie commerciale et ne pouvaient donc pas se concerter avant le dépôt de leurs offres (voir par ex., Décision 18-D-02 du 19 février 2018 et Cour d’appel de Paris du 28 octobre 2010, société Maquet, n° 2010/03405). Il s’agissait d’une exception au principe selon lequel il ne peut pas y avoir d’entente entre sociétés soumises à un même contrôle et constituant donc une seule et même entreprise au sens du droit de la concurrence.

Or, cette pratique décisionnelle s’opposait à la position de la Cour de justice, énoncée dans l’arrêt « Ecoservice Projektai » du 17 mai 2018, selon laquelle aucune entente ne peut être caractérisée dans le cadre d’accords conclus entre sociétés d’un même groupe répondant séparément à un appel d’offres public.

S’alignant sur cette solution, l’Autorité considère ainsi, pour la première fois, par la Décision, que la soumission coordonnée d’offres en réponse à un appel d’offres public par plusieurs entreprises d’un même groupe n’est plus sanctionnable sous l’angle des ententes anticoncurrentielles.

  1. Pour aller plus loin

Quand bien même de telles offres concurrentes présentées par les sociétés d’un même groupe n’est plus sanctionnable à ce titre, le droit de la commande publique peut toujours trouver à s’appliquer aux appels d’offres qui y sont soumis.

Ce dernier n’interdit pas à des sociétés « sœurs » de soumissionner concurremment à l’attribution d’un même marché public. La Décision ne devrait plus permettre à l’acheteur public d’exclure, sur le fondement des articles L. 2141-9 et L.3123-9, des offres de sociétés soumises à un même contrôle et dont il soupçonnerait qu’elles sont coordonnées. Il semble en effet probable que le juge administratif, s’il était saisi d’un recours contre une décision d’un acheteur public d’exclure une société candidate à un appel d’offres sur ce fondement, sanctionnerait une telle décision d’exclusion au regard de la jurisprudence de la Cour de justice précitée.

En revanche, l’acheteur public pourrait, par exemple, utiliser le dispositif prévu aux articles L.2141-8 et L.3123-8  pour exclure des offres coordonnées de sociétés « sœurs » au motif qu’elles auraient « entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel ».

Il appartiendrait dans ce cas à l’acheteur public de démontrer que les sociétés « sœurs » n’ont pas présenté des offres de manière autonome et indépendante, en mettant en place une stratégie concertée pour influer, par leurs offres coordonnées, sur le résultat du processus décisionnel.

Il devrait en être de même pour un concurrent évincé ou un tiers qui, s’estimant lésé par des offres coordonnées de filiales dont l’une serait retenue, voudrait saisir la juridiction administrative (i) dans le cadre d’une procédure d’urgence (i.e. un référé précontractuel ou contractuel) ou (ii) d’un recours au fond visant à obtenir la remise en cause du marché.

Pour prévenir de tels risques, il serait à notre sens souhaitable, lorsque deux entreprises « sœurs » savent qu’elles candidatent à un même appel d’offres, qu’elles informent, de manière proactive, l’acheteur public sur les liens qui les unissent et, le cas échéant, sur le fait que leurs offres ont été élaborées conjointement si tel est le cas. Une telle démarche rassurerait l’acheteur public sur le fait que les offres ont bien été soumises de manière autonome et indépendante ou, à défaut, l’informerait que tel n’est pas le cas.

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